âCherchez la racine ! Tel Ă©tait le conseil de lâinoubliable Kozma Prutkov au siĂšcle dernier. En effet, le retour aux sources permet parfois de faire des dĂ©couvertes fascinantes. Par exemple, Ă la base de la marque automobile Cadillac se trouve Ă©tonnamment un vĂ©hicule Ford.
Lorsque lâon place cĂŽte Ă cĂŽte la Ford Model A et la Cadillac Model A, il est presque impossible de les distinguer Ă premiĂšre vue. Un examen plus approfondi rĂ©vĂšle toutefois que la Ford est dotĂ©e de suspensions entiĂšrement elliptiques Ă lâavant et Ă lâarriĂšre, tandis que la Cadillac est semi-elliptique. La Ford Model A fonctionne sur deux cylindres, contre un seul pour la Cadillac Model A. En outre, la Ford est lĂ©gĂšrement plus courte, tandis que la Cadillac est un peu plus large. Le radiateur de la Ford est strictement vertical, contrairement Ă celui de la Cadillac, qui est lĂ©gĂšrement inclinĂ© vers lâarriĂšre. La Ford possĂšde Ă©galement un âpuitsâ pour la manivelle indispensable Ă lâĂ©poque, situĂ© sur le cĂŽtĂ© droit, une caractĂ©ristique absente sur la Cadillac, oĂč lâarbre destinĂ© Ă ĂȘtre tournĂ© par la manivelle se trouve sous le bord de la carrosserie. Il est clair que ces vĂ©hicules sont structurellement distincts, bien que visuellement similaires.
Ici, on voit clairement oĂč insĂ©rer la âmanivelleâ pour dĂ©marrer le moteur : lâarbre de dĂ©marrage fait saillie sous le cĂŽtĂ© de la carrosserie, Ă cĂŽtĂ© de lâaxe du levier latĂ©ral. Sur le modĂšle A, le moteur pouvait ĂȘtre dĂ©marrĂ© des deux cĂŽtĂ©s de la voiture ; plus tard, le âpuitsâ nâa Ă©tĂ© laissĂ© que du cĂŽtĂ© opposĂ©.
Lâhistoire se dĂ©roule un matin dâaoĂ»t 1902, lorsque deux hommes rendent visite Ă Leland & Faulconer Ă Detroit. Il sâagit de reprĂ©sentants de la Detroit Automobile Company, une sociĂ©tĂ© enregistrĂ©e mais non opĂ©rationnelle, qui avait prĂ©vu de commercialiser un vĂ©hicule conçu par son ingĂ©nieur en chef. Des dĂ©saccords ont entraĂźnĂ© son dĂ©part, emportant avec lui le prototype du modĂšle destinĂ© Ă la production. Nâayant plus rien Ă fabriquer, la seule option semble ĂȘtre de se retirer de lâactivitĂ© en vendant lâentreprise. Mais il fallait dâabord Ă©valuer tous les actifs disponibles pour dĂ©terminer la valeur potentielle de la vente. Leland & Faulconer, connu pour ses produits techniques sophistiquĂ©s et son personnel qualifiĂ©, a Ă©tĂ© sollicitĂ© pour fournir lâĂ©valuation technique nĂ©cessaire.
Le phare avant, puissant et lumineux, est structurellement associĂ© au gĂ©nĂ©rateur au carbure ; il peut ĂȘtre facilement allumĂ© sans ĂȘtre retirĂ© de ses supports â il suffit dâouvrir la vitre avant, qui est montĂ©e sur charniĂšres. Le radiateur de la voiture est un tube de cuivre sans soudure dâun diamĂštre de 15,9 mm, sur lequel des disques de cuivre sont espacĂ©s de 9,5 mm. Le tout est enroulĂ© en hĂ©lice et montĂ© Ă lâavant avec une lĂ©gĂšre inclinaison vers lâarriĂšre.
Ă lâĂ©poque, il aurait Ă©tĂ© difficile de qualifier Leland & Faulconer dâentreprise automobile ; il sâagissait dâune entreprise gĂ©nĂ©rale de mĂ©tallurgie connue pour fournir divers Ă©quipements de production et des outils spĂ©cialisĂ©s, tels que des micromĂštres, aux entreprises locales. NĂ©anmoins, tout produit de cette entreprise Ă©tait reconnu pour sa qualitĂ© suprĂȘme. Henry Leland, lâun de ses fondateurs, Ă lâorigine armurier ayant dĂ©butĂ© chez Colt, veillait Ă ce que le travail dans son atelier soit organisĂ© de maniĂšre Ă ce que chaque composant, en particulier les piĂšces mobiles, sâemboĂźte avec prĂ©cision sans nĂ©cessiter de finition ou de limage supplĂ©mentaire. Leur expertise dans la crĂ©ation de boĂźtes de vitesses, dâentraĂźnements par engrenage et dâinstallations de rectification dâengrenages Ă©tait inĂ©galĂ©e, et leur fonderie, crĂ©Ă©e en 1896, Ă©tait rĂ©putĂ©e dans toute la rĂ©gion pour produire des piĂšces moulĂ©es dâune qualitĂ© inĂ©galĂ©e.
La voiture prĂ©sentĂ©e ici nâa ni instruments, ni mĂȘme de klaxon. DerriĂšre les portes, dans la paroi avant de la carrosserie, se trouve un rĂ©servoir dâeau pour le systĂšme de refroidissement.
Les fabricants de bicyclettes sâempressaient de sâapprovisionner auprĂšs dâeux en roues dentĂ©es pour les transmissions par chaĂźne. Lorsque DĂ©troit a dĂ©cidĂ© de mettre en place un systĂšme de tramway, L & F a obtenu le contrat pour les moteurs Ă vapeur du matĂ©riel roulant, produisant plusieurs centaines dâunitĂ©s. Lâentreprise a Ă©galement fabriquĂ© des moteurs Ă combustion interne, principalement pour un usage maritime, commandĂ©s par le chantier naval local. Lorsque Ransom Olds, un entrepreneur en herbe originaire de la ville voisine de Lansing, sâest lancĂ© dans lâautomobile, il a passĂ© sa premiĂšre commande de deux mille moteurs monocylindriques Ă L & F.
Le levier de direction, qui se dĂ©place le long dâun secteur dentĂ©, dĂ©termine la position du papillon des gaz â en dâautres termes, il fonctionne comme un accĂ©lĂ©rateur (âgaz manuelâ). La pĂ©dale de droite est le frein, celle de gauche enclenche la âpetite vitesseâ de la transmission planĂ©taire Ă deux Ă©tages. Le levier situĂ© Ă droite du siĂšge du conducteur est bruyamment appelĂ© âpoignĂ©e de contrĂŽleâ dans le manuel ; en rĂ©alitĂ©, il permet au conducteur de serrer Ă volontĂ© les bandes de freinage de la transmission, permettant ainsi Ă la voiture dâavancer ou de reculer.
Les reprĂ©sentants de la Detroit Automobile Company avaient donc toutes les raisons de consulter la sociĂ©tĂ© dâHenry Leland. Lors de sa visite pour Ă©valuer les actifs de la sociĂ©tĂ© en cours de liquidation, Leland remarque une usine bien Ă©quipĂ©e mais inactive et un entrepĂŽt rempli de carrosseries non peintes prĂ©parĂ©es Ă lâavance. Il est impressionnĂ© par la disposition stratĂ©gique des Ă©quipements et sâenquiert de lâingĂ©nieur que la direction ne peut accueillir. Câest alors que le nom dâHenry Ford apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans ce rĂ©cit, un personnage avec lequel Leland dĂ©veloppera plus tard une collaboration Ă©troite et approfondie. Les anciens partenaires de Ford expliquent Ă Leland : âIl Ă©tait constamment animĂ© par le dĂ©sir de crĂ©er des machines de course Ă grande vitesse, mais nous avions besoin dâun modĂšle qui puisse ĂȘtre rapidement mis sur le marchĂ© pour gĂ©nĂ©rer des revenus.â
Les places arriĂšre sont exiguĂ«s, les passagers devant sâasseoir de biais les uns par rapport aux autres. Si on le souhaite, toute la partie arriĂšre de la carrosserie peut ĂȘtre facilement dĂ©tachĂ©e et retirĂ©e de la voiture Ă quatre mains, ce qui en fait une voiture Ă deux places. Si lâon en juge par lâabsence dâattaches pour un toit pliant, cette voiture a Ă©tĂ© livrĂ©e Ă lâorigine complĂštement ouverte.
Quelques jours plus tard, Henry Leland se rend au bureau de la Detroit Automobile Company, situĂ© Ă lâangle des avenues Cass et Amsterdam, Ă Detroit. Sans prĂ©ambule, il dĂ©clare aux associĂ©s : âJâai apportĂ© votre devis, mais je vous dĂ©conseille de vendre cette usine. La construction automobile est prometteuse, mais elle comporte des dĂ©fis. Poursuivons plutĂŽt la conception du chĂąssis lĂ oĂč vous lâavez laissĂ©e, et je vous fournirai des moteurs assemblĂ©s avec des transmissions, car jâai dĂ©jĂ un modĂšle adĂ©quat.â
La voiture reprĂ©sentĂ©e sur ces illustrations est en version quatre places â ce type de carrosserie sâappelait tonneau et lâaccĂšs aux places arriĂšre ne se faisait pas depuis le trottoir mais depuis la route, par une porte unique. Dans cette configuration, la voiture coĂ»te 850 dollars ; une variante Ă deux places sans deuxiĂšme rangĂ©e de siĂšges coĂ»te cent dollars de moins.
En effet, Leland disposait dâun moteur adĂ©quat â il Ă©tait lĂ depuis que Leland & Faulconer travaillait sous contrat avec Oldsmobile. Contrainte de dĂ©localiser Ă la suite de lâincendie qui a dĂ©truit son usine de DĂ©troit en mars 1901, Oldsmobile a construit en toute hĂąte une nouvelle usine Ă Lansing et mis en place des opĂ©rations dâassemblage temporaires afin de rester sur le marchĂ©. Leland & Faulconer ont Ă©tĂ© chargĂ©s de produire une version lĂ©gĂšrement amĂ©liorĂ©e du moteur initial. AprĂšs avoir acceptĂ© cette conception pour la production, M. Leland a chargĂ© ses ingĂ©nieurs de lâamĂ©liorer encore. Leurs efforts ont permis de tripler la puissance pour atteindre plus de dix chevaux Ă 900 tr/min. Le moteur amĂ©liorĂ© a Ă©tĂ© dĂ»ment proposĂ© Ă Olds pour remplacer la version dĂ©jĂ fournie. Ă lâĂ©poque, lâoffre a Ă©tĂ© dĂ©clinĂ©e, citant le chĂąssis trop faible pour un tel moteur et les difficultĂ©s de la pĂ©riode de rĂ©cupĂ©ration. Une nouvelle occasion dâutiliser le moteur amĂ©liorĂ© se prĂ©sente.
Les dispositifs dâĂ©clairage nâĂ©taient pas inclus dans le kit de livraison de la voiture ; ils devaient ĂȘtre achetĂ©s sĂ©parĂ©ment. Les lanternes Ă kĂ©rosĂšne de cet exemplaire ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es par la sociĂ©tĂ© Dietz Motor Lamp, et le projecteur Ă acĂ©tylĂšne a Ă©tĂ© fourni par A.H.Funke de New York. Les ailes, Ă©galement connues sous le nom de garde-boue, Ă©taient encore mĂ©talliques ici ; elles ont parfois Ă©tĂ© fabriquĂ©es en cuir artificiel par la suite. Les longs et magnifiques supports de la suspension avant, qui sâĂ©tendent loin vers lâavant, constituaient lâun des points faibles de la Cadillac Model A. Ils ne formaient pas un tout avec le chĂąssis, mais Ă©taient fixĂ©s Ă celui-ci par des rivets et ne pouvaient souvent pas supporter les charges sur les routes extrĂȘmement mauvaises de lâĂ©poque. Câest pourquoi, Ă partir de lâannĂ©e modĂšle suivante, on a utilisĂ© un seul ressort Ă lames transversal au lieu de deux ressorts Ă lames longitudinaux, et on lâa inversĂ©.
Les hommes dâaffaires de la Detroit Automobile Company nâont pas de chĂąssis fragile â en fait, ils nâont pas de chĂąssis du tout, car leur ancien chef designer a emportĂ© le prototype avec lui. Rien ne les empĂȘche donc de concevoir un chĂąssis Ă partir de zĂ©ro pour accueillir un moteur plus puissant. Nâayant pas non plus Ă faire face aux consĂ©quences dâun incendie, ils acceptent sans condition le modĂšle dâentreprise proposĂ© par Henry Leland. Ă la fin du mois dâaoĂ»t, tous les documents pertinents ont Ă©tĂ© formalisĂ©s et signĂ©s. Il ne sâagit pas dâune fusion ou dâune acquisition, et Leland & Faulconer reste un fournisseur indĂ©pendant dâassemblages. Cependant, la Detroit Automobile Company doit ĂȘtre rĂ©enregistrĂ©e sous un nouveau nom. DĂ©troit venait de cĂ©lĂ©brer son bicentenaire, un Ă©vĂ©nement encore frais dans les esprits, et sans surprise, le nom choisi pour la sociĂ©tĂ© rĂ©organisĂ©e et la marque de la nouvelle voiture fut celui de lâexplorateur français qui fonda la ville. Son nom, Antoine Laumet de La Mothe, sieur de Cadillac, rĂ©sonne puissamment et distinctement français-Cadillac.
Pour accéder au moteur, vous devez retirer le coussin du siÚge avant. La boßte rectangulaire brillante sur la gauche est le réservoir de carburant, et le couvercle peint en rouge vif est le carter de la transmission planétaire.
Cadillac, ou plus prĂ©cisĂ©ment en français, âCadillacâ, est un terme gĂ©ographique longtemps associĂ© Ă une petite localitĂ© de la Gironde, en Aquitaine. On ne sait pas trĂšs bien quel lien le brave Gascon Antoine avait avec ces lieux, lui qui a Ă©tabli le premier poste de traite des fourrures avec les tribus amĂ©rindiennes locales, lĂ oĂč se trouve aujourdâhui une ville animĂ©e de plusieurs millions dâhabitants. Pourtant, câest son nom et les armoiries excessivement pompeuses de sa famille qui ont Ă©tĂ© choisis comme symboles de la nouvelle automobile. LâemblĂšme hĂ©raldique colorĂ© et ornĂ© a Ă©tĂ© appliquĂ© sur les deux cĂŽtĂ©s de la carrosserie des voitures par dĂ©calcomanie sur les tout premiers modĂšles de production, bien que son enregistrement officiel en tant que symbole dâentreprise nâait Ă©tĂ© officialisĂ© quâen aoĂ»t 1906.
De lâarriĂšre, une vue magnifique de son entraĂźnement principal par chaĂźne, du systĂšme diffĂ©rentiel Brown & Lipe et du feu arriĂšre au kĂ©rosĂšne Atwood Castle sâouvre. Les roues de type âartillerieâ des voitures de sĂ©rie Cadillac avaient 12 rayons. Les trois premiĂšres unitĂ©s, y compris le prototype, utilisaient des roues similaires Ă quatorze rayons en bois, provenant de la voiture Olds Ă tableau de bord incurvĂ©. Les pneus Ă©taient fournis par Fisk and Hartford ; ici, bien sĂ»r, nous voyons une imitation moderne, mais dâune taille correcte de 28 x 3 pouces.
Ă la fin de lâannĂ©e 1902, trois voitures avaient Ă©tĂ© assemblĂ©es ; elles ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es au salon de lâautomobile de New York en janvier 1903, oĂč les prĂ©-commandes Ă©taient prises directement sur le stand dâexposition moyennant un modeste acompte de dix dollars. Au total, 2 286 commandes ont Ă©tĂ© recueillies Ă la fin du salon ; lâusine a commencĂ© Ă fonctionner en mars 1903 et les ventes ont dĂ©butĂ© simultanĂ©ment. Henry Ford, quant Ă lui, nâa atteint le marchĂ© que fin juillet. Il a beau vanter les mĂ©rites de son moteur Ă deux cylindres en un, il ne peut cacher quâil ne parvient Ă en tirer que huit chevaux. Il nâest pas surprenant que Cadillac lâait largement devancĂ© en termes de volumes de ventes, du moins au dĂ©but.
Les deux marques, Cadillac et Ford, ont survĂ©cu jusquâĂ aujourdâhui. Elles ne sont plus en concurrence directe, car Ford sâadresse au marchĂ© de masse tandis que Cadillac reste un symbole de luxe et dâexclusivitĂ©, connu sous le nom de âStandard of the Worldâ. Elles nâont plus grand-chose Ă se mettre sous la dent.
Photo : Sean Dagen, Hyman Ltd.
Voici la traduction. Vous pouvez lire lâarticle original ici : ĐĄĐ°ĐŒŃĐč пДŃĐČŃĐč Cadillac ĐČ ŃĐ°ŃŃĐșĐ°Đ·Đ” ĐĐœĐŽŃĐ”Ń Đ„ŃĐžŃĐ°ĐœŃĐŸĐČĐ°
Publié August 01, 2024 ⹠17m to read